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… Un cassis me réveille. J’ai dû rêver un peu entre deux bâillements. Le soleil est bien levé maintenant et c’est encore plus beau. Le bus est arrêté devant une boîte aux lettres cramoisie. Il y a ici un petit établissement humain : cinq maisons dont les toits de tôle peints en turquoise, brique et bleu flottent dans cette brume lumineuse, et sur une grève en demi-lune cinq bateaux décorés d’énigmatiques motifs rouges qui ressemblent à des runes. Au-dessus des bateaux et des toits s’élève un mamelon abrupt du même velours vert parfait que j’ai vu ce matin, et, précisément au sommet, un gros cheval noir arrache avec ivresse l’herbe rase. On n’a pas le temps de se demander s’il est monté tout seul là-haut ou s’il a le vertige que déjà le brouillard l’avale. C’est comme si Jérôme Bosch s’était surpassé et qu’un peintre encore bien supérieur soit ensuite venu débarrasser son tableau de la rocaille, des diableries, de tout l’inutile.

— Chronique japonaise, p. 647, Collection Quarto, Éditions Gallimard, 2004